DU PLASTIQUE DE LA MER AUX NUAGES
SYNTHÈSE DE LA CONFÉRENCE DE PRESSE DU 24 OCTOBRE 2019 – ATELIER DU FRANCE
Comme l’exprime Patrick Deixonne fondateur et directeur de l’ONG Expédition 7e Continent, chef de mission et membre de la Société des Explorateurs Français, l’association est depuis ses débuts fondée sur deux grands piliers :
– La pédagogie dont l’objectif et de sensibiliser le grand public, les politiques et industriels à la problématique que représentela pollution par le plastique.
– La science afin de mieux comprendre cette pollution et les mécanismes qui la constitue en allant notamment dans les gyresocéaniques. En impliquant le CNRS, la science représente le fondement de l’association. Depuis le début sous la direction de la chimiste Alexandra TER HALLE, directrice scientifique de l’association et chercheuse au CNRS au sein du laboratoire IMRCP, l’association œuvre pour faire avancer les connaissances scientifiques sur ce sujet.
Après avoir mis en évidence notamment lors des missions de 2014 et 2015 la présence de nano plastiques, les recherches se concentrent aujourd’hui sur 3 axes de cette problématique :
- La fragmentation des déchets plastique
- Le transfert et le transport des micro et nano particules
- La transformation dans la biomasse.
Toutes ces avancées sont rendues possible grâce au soutien de l’ensemble des partenaires de l’ONG. Comme le souligne Carlos DE LOS LLANOS, Directeur scientifique de Citeo France, l’organisme en charge de la collecte sélective des emballages ménagers en France, « la pédagogie est le premier moteur du geste de tri. Il est en effet essentiel de faire comprendre aux consommateurs tant qu’aux producteurs ou aux politiques que 80% des déchets en mer proviennent de l’activité à terre et que la première barrière à ce fléau est le geste de tri. C’est donc tout naturellement que Citeo et Expédition 7e Continent se sont trouvés pour un partenariat qui a déjà permis de mener deux campagnes pédagogiques en Atlantique et Méditerranée. » Aujourd’hui Citeo soutient également le volet scientifique de l’association en plus de toutes les campagnes pédagogiques pour mieux comprendre le comportement des déchets et travailler en amont la conception des emballages.
Il est essentiel de faire avancer la recherche en laboratoire en essayant de comprendre les mécanismes de la pollution plastique.
Nous nous intéressons de plus en plus à ce qui est petit car il reste encore énormément de chose à découvrir à cette échelle. D’autre part, après 5 ans à effectuer des missions sur les océans de la planète pour comprendre ce sujet, Alexandra TER HALLE fait remarquer que si l’on voit énormément de macro déchets dans les océans, ces derniers proviennent principalement des emballages à usage unique destinés à être utilisés seulement quelques minutes. Il tombe donc sous le sens et devient urgent de mobiliser l’ensemble des consommateurs, des industriels de la société civile de changer nos habitudes de consommations et de réduire notre production.
L’objectif de la mission 2019 en Méditerranée était de ce se concentrer sur la pollution plastique invisible à l’œil nu. Comme le mentionne Alexandra Ter HALLE, « la documentation sur les micro plastiques, dont la taille est comparable à celle de miettes de pain existe dans la littérature scientifique depuis maintenant 40 ans. A l’inverse, si l’on se place à l’échelle du micron avec des échantillons1000x plus petits, du diamètre d’un cheveu ou des nanoplastiques, 1 millions de fois plus petit, très peu de documentation existe et tout reste encore à découvrir. »
Les 4 scientifiques et les 4 marins du bord ont donc embarqué des outils adaptés à chaque gamme de taille. De la pince à épiler pour les particules visibles à l’œil nu au filtre à air pour les plus petites particules pouvant rejoindre l’atmosphère.
Un grand travail est également nécessaire pour comprendre la nature et le comportement chimique de ces plastiques. Selon Alexandra Ter HALLE, « Ce n‘est encore qu’une hypothèse mais il est possible que les processus d’oxydation, d’érosion et de vieillissement du plastique en mer conduise à des modifications des propriétés chimique qui modifierait la nature même de ces plastiques.
D’un point de vue biologique, Jean François GHIGLIONE, chercheur au CNRS au sein du laboratoire LOMIC nous explique que dès qu’un plastique arrive en mer il se retrouve colonise par de la matière organique puis par des bactéries. Si la vie est particulièrement active sur ces plastiques, chaque espèce n’en fait pas le même usage. « Nous utilisons aujourd’hui des outils de biologie moléculaire pour analyser leur ADN et comprendre leurs interactions avec le plastique. » Il faut bien imaginer que ces plastiques avec une durée de vie de plusieurs centaines d’années pour certains représente de formidables radeaux pour les espèces. 1/4 de ces espèces sont pathogènes mais très peu pour l’homme. Nous cherchons à démontrer si les plastiques se dégradent dans la nature et quel rôle la biologie jouet-elle pour ce faire ? Nous avons déjà réussi à montrer que certaines espèces se nourrissent de plastique. Mais le mécanisme de dégradation dans ce processus est beaucoup trop lent pour qu’il soit aujourd’hui envisagé comme une solution au plastique.
Tout un questionnement se pose également sur le comportement physique de ces plastiques en mer.
Comme nous l’explique Marie POULAIN-ZARCOS doctorante au sein des laboratoires IMRCP et IMFT il est courant de voir un sac plastique flotter à la surface d’une rivière. En mer cela est valable uniquement lorsque cette dernière est calme, dès que l’on passe à une mer agitée et à des échelles de plastique plus petites, toute une mécanique des fluides entre en jeu. Le plastique subit ainsi un transport vertical contrôlé par un équilibre entre les caractéristiques du plastique, la poussée d’Archimède et les turbulences. Il est essentiel d’étudier ces mécaniques sur le terrain car les modèles réalisés aujourd’hui en laboratoire se basent sur des plastiques de forme sphérique alors que ce n’est pas du tout le cas dans la nature, ou le plastique se présente sous une multitude de formes.
Yann OURMIERES chercheur au sein du MIO explique la manière dont la mission a étudié la répartition des plastiques sur différentes échelles de profondeur. « C‘était la première fois que nous utilisions une mini rosette sur un bateau pour échantillonner des nano particules. Ce type de dispositif permet d’obtenir les caractéristiques précises de l’eau jusqu’à 150 mètres de profondeur (Salinité, Profondeur et Température) et en les mettant en lien avec les concentrations en plastique d’établir un profil complet de la colonne d’eau. »
Il souligne enfin la difficulté de ce type d’études. « Il s‘agit d’étudier des particules nanométriques qui sont transportées par des courants dont l’échelle peut varier jusqu’à plusieurs centaines voire milliers de kilomètres. D’autant que si dans les grands gyresocéaniques la dynamique des courants est assez simple, en Méditerranée ce ne sont pas du tout les mêmes interactions qui se produisent. Des eaux « neuves » rentrent par le détroit de Gibraltar font le tour de la Méditerranée et ressortent par ce même détroit mais cette fois à plus de 200 mètres de profondeur. Tous les plastiques « légers » et qui flottent facilement ont donc du mal à s’évacuer, ce qui fait que la Méditerranée accumule beaucoup de plastique. »
Boris EYHERAGUIBEL et Pierre AMATO tous deux chercheurs au sein de l’ICCF travaillent quant à eux sur un volet très peu échantillonné jusqu’à présent, celui de la pollution de l’air. Des filtres et des pompes à haut débit, uniques en leur genre et encore non commercialisées ont été ainsi installées sur le bateau. L’objectif à terme est de pouvoir démocratiser ce type d’échantillonnage relativement innovant. En échantillonnant ainsi la phase atmosphérique, nous allons pouvoir modéliser l’échange entre la colonne d’eau, la surface et l’air.
Toute la force de cette mission réside dans la pluridisciplinarité des profils embarqués, en permettant ainsi de travailler à la fois sur la biologie, la physique et la chimie de la pollution plastique. Les échantillons vont circuler dans tous les laboratoires impliqués. Yann OURMIERES nous présente ici une carte des différents prélèvements avec des bulles dont la taille varie suivant l’ampleur de la concentration en plastique et qui illustre bien « l‘ampleur du désastre ». Si les résultats non pas encore été extrapolés et corrigés, la zone de la mer des Baléares montre une zone extrêmement polluée avec une concentration expliquée par les courants. Comme il le précise « C‘est dans ce type de zones que nous pouvons faire le lien entre la chimie, la physique et la biologie et où une approche pluridisciplinaire prend donc tout son sens ».
En conclusion Patrick Deixonne nous rappelle à quel point il est important de continuer ce type de missions. « Nous n‘en sommes encore qu’au début des connaissances sur le sujet. Il faut arrêter de déresponsabiliser le citoyen avec des solutions qui ne tiennent pas la route. Il faut continuer de faire avancer la science ! ».