Plastiques dans l’océan : des radeaux pour les microorganismes
Chaque année, des millions de tonnes de déchets plastiques se retrouvent à la mer. Dans le milieu marin, ces polymères sont colonisés par des microorganismes variés. Certaines espèces jouent un rôle clé dans la dégradation du plastique. Malheureusement, elles sont minoritaires. La plupart utilisent les plastiques dans l’océan en guise de radeau. Les études précédentes ont mis en évidence une grande diversité microbienne à la surface de ces déchets flottants. Quelles sont les caractéristiques des microorganismes associées aux plastiques océaniques ? Cette colonisation représente-t-elle une menace pour les océans ? Pour le savoir, les scientifiques ont analysé le microbiome à la surface d’un large échantillon de polymères. Voici les travaux menés à partir des matériaux recueillis par l’équipe scientifique d’Expédition 7e Continent dans le gyre subtropical de l’Atlantique Nord-Ouest entre le 28 mai et le 16 juin 2015.
Les plastiques dans l’océan, des nids à microbes
La production de plastiques croît de manière exponentielle. En 2012, elle était estimée à 288 millions de tonnes, ce qui représente une augmentation de 620 % par rapport à 1975. Le problème ? Une grande partie de ces détritus terminent leur course dans l’océan. Les courants océaniques emportent cette nappe de détritus loin des côtes. Ces polymères sont attirés vers les gyres océaniques, des zones où les pressions sont hautes et les vents faibles. Piégés par des courants tourbillonnants, ils s’y accumulent. La surface occupée par cette masse de plastiques agglomérés représente des millions de kilomètres carrés, d’où l’appellation « 7e Continent ». Dans le milieu marin, ces polymères se dégradent très lentement. Ils peuvent y rester pendant plusieurs centaines d’années. Ces morceaux de plastique ne voyagent pas seuls. Ils transportent des additifs, des polluants organiques, des pesticides, des métaux lourds, mais aussi des microorganismes, essentiellement des bactéries. Que font-ils ?
Les éboueurs des mers, des spécialistes de la dégradation du plastique marin
De nombreuses bactéries sont capables de dégrader le plastique. Parmi ces espèces clés, on retrouve :
- les rhodobactéries, un ordre des alphaprotobactéries ;
- les rhizobiales, un ordre des alphaprotobactéries ;
- les streptomyces, des bactéries filamenteuses appartenant à l’ordre des actinobactéries ;
- les cyanobactéries ou algues bleues, des bactéries procaryotes.
La dégradation du plastique en mer passe par plusieurs étapes. Ces microorganismes interviennent en fin de processus. Des facteurs physiques et chimiques vont dans un premier temps fragiliser la structure des polymères. Le plastique se fissure puis se fragmente en morceaux de plus petites tailles appelés microplastiques. Un biofilm bactérien se forme à la surface des débris de plastique pour assurer leur biodégradation.
Les microorganismes auto-stoppeurs, une communauté microbienne opportuniste
Malheureusement, la biodégradation des plastiques par la communauté microbienne reste relativement faible. La plupart des microorganismes qui colonisent ces polymères les utilisent en guide de radeau. Plus durable et plus résistant, ce moyen de transport apparait comme une alternative séduisante à d’autres substrats flottants naturels comme le bois, les algues ou les plumes. Appelés « microorganismes auto-stoppeurs », ces opportunistes se nourrissent de l’écosystème environnant et se déplacent à des milliers de kilomètres. Les études ont mis en évidence une grande diversité d’espèces microbiennes associées aux plastiques océaniques. Parmi celles-ci, certaines sont pathogènes, à l’instar des Vibrio.
Caractéristiques des microorganismes présents sur les plastiques dans l’océan
Pour mieux comprendre la dégradation des polymères dans l’eau de mer, il est nécessaire d’étudier les caractéristiques des communautés microbiennes à la surface de ces déchets flottants. Dans cette étude, les scientifiques ont analysé différents types de polymères présents dans le gyre subtropical de l’Atlantique Nord-Ouest. La récolte des plastiques a été réalisée par les scientifiques de l’Expédition 7e Continent, du 28 mai au 16 juin 2015. Au total, 1358 pièces ont été collectées, pesées et mesurées. Les débris récoltés différaient par leur taille et leur nature. Ils comprenaient des mésoplastiques (5 mm à 20 mm) et des microplastiques (0,3 mm à 5 mm). Les microplastiques se composaient de polyéthylène (PE) à 90 % et de polypropylène (PP) à 10 %. L’échantillon de mésoplastiques était plus diversifié. Il contenait du :
- polyéthylène (PE) ;
- polyéthylène téréphtalate (PET) ;
- polystyrène (PS).
Les scientifiques ont eu recours au Barcoding de l’ADN microbien pour caractériser les microorganismes présents sur les débris de plastique. Grâce à cette méthode, ils ont été en mesure d’identifier l’ADN de plusieurs espèces au sein d’un mélange de microorganismes.
Une colonisation spécifique selon le type de polymère
Cette étude confirme que les plastiques marins sont colonisés par des microorganismes variés, eucaryotes, bactéries et archées. Les analyses statistiques ont également fourni des preuves d’une colonisation spécifique des polymères :
- Les mésoplastiques constitués de PET, de PS et de PE étaient principalement colonisés par des alphaprotabactéries et des gammaprotobactéries.
- Le PE était également colonisé par les actinobactéries.
- Les microplastiques étaient majoritairement colonisés par des bétaprotéobactéries.
Des espèces distinctes du milieu marin
Les scientifiques ont comparé les microorganismes fixés sur les polymères à ceux présents dans l’eau de mer environnante. Parmi les espèces analysées, 201 bactéries et 68 eucaryotes étaient significativement associés aux débris de plastique. Ils présentaient un métabolisme distinct des microorganismes du milieu marin. Malheureusement, seuls 14 % d’entre eux étaient capables de dégrader le plastique. Il s’agissait principalement de bactéries, les eucaryotes jouant un rôle mineur dans la décomposition du plastique marin.
Des communautés microbiennes variables selon l’emplacement géographique
Les espèces toxiques étaient relativement rares sur les échantillons collectés puisqu’elles représentaient seulement 0,14 %. Ces résultats divergent avec ceux d’une étude précédente menée en 2016 par Kirstein et al. qui a détecté des espèces pathogènes (Vibrio) sur 13 % des particules de microplastiques analysées. Contrairement à la recherche actuelle, les plastiques avaient été collectés près des côtes. Les communautés microbiennes varieraient donc en fonction du type de substrat, mais aussi de l’emplacement géographique.
Nouveaux substrats flottants, les plastiques dans l’océan peuvent déplacer des espèces potentiellement nuisibles au gré des courants, à des milliers de kilomètres, au risque de perturber les écosystèmes marins. D’ici 2025, l’ampleur de la pollution plastique devrait encore augmenter, notamment en raison de la mauvaise qualité des systèmes de gestion des déchets à travers le monde. Mieux caractériser la biodégradation des plastiques par les communautés microbiennes représente donc un véritable enjeu.
Source : Plastics in the North Atlantic garbage patch: A boat-microbe for hitchhikers and plastic degraders
Article rédigé par Malorie Deboni, coach et correctrice chez Formation Rédaction Web. La relecture scientifique a été réalisée par Valérie Pruneta, docteur en biochimie.