Saviez-vous que les débris plastiques tourbillonnent au milieu des océans ?
Nous savons que nos eaux sont peuplées de détritus, mais concrètement, où vont-ils ? Pour le comprendre, il faut envisager nos vastes étendues salées comme étant soumises à différentes perturbations. La dynamique océanique entraîne des mouvements, sous forme de tourbillons, qu’il convient d’étudier pour discerner le trajet du plastique. L’accumulation de microplastiques dans les océans doit être prise en compte pour mesurer l’impact de la pollution plastique sur l’écosystème en haute mer. C’est pourquoi les chercheurs d’Expédition 7e Continent ont entrepris une exploration au sein du gyre subtropical de l’Atlantique Nord. Le but : observer la distribution des débris de surface en mer et rationaliser la circulation locale dans les tourbillons. Afin de comprendre leurs résultats, intéressons-nous d’abord aux dynamiques marines et à leur méthodologie de recherche.
Répartition du plastique dans l’océan : l’influence de la dynamique marine
Qu’est-ce qu’un gyre océanique ?
Deux moteurs existent dans le transport des eaux océaniques : le transfert de chaleur de l’équateur vers les pôles et l’action des vents. Ce dernier phénomène est à l’origine de la création des gyres. Un gyre est un tourbillon d’eau océanique constitué d’un ensemble de courants marins, eux-mêmes influencés par la rotation terrestre. Ces éléments en rotation font plusieurs milliers de kilomètres de diamètre. Pour visualiser l’incroyable immensité de ces phénomènes, rien de tel que de les comparer avec une géographie que nous connaissons davantage :
- le gyre du Pacifique Nord représente ⅓ de la superficie des États-Unis, soit 6 fois la France ;
- le gyre de l’Atlantique Nord couvre une étendue de 2 à 3 fois la France.
Des mois, voire des années, seraient nécessaires pour explorer l’entièreté de ces zones marines.
Quel est le fonctionnement de ces gigantesques tourbillons d’eau ?
Du fait de la rotation de la Terre, les vortex sont régis par la force de Coriolis. Cet effet induit une déviation de tout mouvement :
- vers la droite dans l’hémisphère Nord ;
- vers la gauche dans l’hémisphère Sud ;
- nulle au niveau de l’équateur.
Quelles sont les conséquences de ce phénomène ? La circulation des courants marins de surface suit la trajectoire horaire dans l’hémisphère Nord et retient donc, en théorie, les déchets. À l’inverse, les débris sont repoussés dans l’hémisphère Sud puisqu’ils subissent un mouvement antihoraire.
À l’intérieur des gyres, les tourbillons correspondent à des vortex d’eau qui jouent un rôle fondamental en mer. En effet, ils possèdent une influence sur la dynamique de l’océan, notamment sur le transport de la chaleur, du sel et des masses d’eau. De plus, ils ont un impact biologique majeur. Selon leur sens de rotation, des remontées ou des descentes d’eau froide riche en nutriments essentiels pour la croissance du phytoplancton se mettent en place.
Pourquoi étudier le gyre subtropical de l’Atlantique Nord ?
Certains espaces de convergence des débris plastiques ont fait l’objet de recherches avancées. C’est le cas de la partie ouest de l’océan Atlantique Nord et l’est de l’océan Pacifique Nord. L’hémisphère Sud présente moins de travaux à l’heure actuelle.
Les débris flottants ont tendance à converger dans les gyres subtropicaux. La campagne de juin 2015 d’Expédition 7e Continent a pour but de cartographier le système de gyre subtropical de l’Atlantique Nord pour déterminer qui, entre les tourbillons cycloniques et anticycloniques, concentre le plus de microplastiques.
Les tourbillons anticycloniques : foyer de l’accumulation de microplastiques dans les océans
L’hypothèse de départ
Le poids des débris plastiques flottants en mer a été évalué entre 90 000 et 250 000 tonnes, soit 1 % des déchets plastiques globaux dans l’océan en 2010. Le besoin de comprendre où les déchets se localisent est essentiel pour estimer l’impact de la pollution qu’ils génèrent sur la vie marine.
L’hypothèse testée par les chercheurs d’Expédition 7e Continent est que la distribution du plastique en surface est en partie due à la présence de tourbillons. Cependant, la résolution des instruments satellitaires ne peut pas encore produire de détection directe des débris plastiques. L’observation sur place se révèle donc nécessaire pour évaluer la circulation locale dans les tourbillons.
L’objectif de cette étude est de rationaliser les concentrations de microplastiques in situ avec les données altimétriques et les courants de surface modélisés qui sont disponibles à l’échelle mondiale à une résolution quotidienne.
La méthodologie de recherche
Pendant l’exploration de juin 2015 d’Expédition 7e Continent, des mesures ont été réalisées lors d’une navigation autour et à travers deux formations cycloniques et anticycloniques dans le gyre de l’Atlantique Nord. La localisation de ces tourbillons a été déterminée en amont. Grâce au paramètre Okubo-Weiss (OW), l’équipe a choisi des formations bien définies dont la durée de vie dépassait 6 mois. Au moment de l’étude, le tourbillon cyclonique mesurait 200 km sur 150 km et la formation anticyclonique 200 km sur 100 km. Les deux formations étaient distantes de 200 km bord à bord. Cinq jours ont été nécessaires pour naviguer de l’une à l’autre dans des conditions météorologiques difficiles.
Le bateau Guyavoile a été guidé jour après jour depuis Toulouse à l’aide de prévisions océaniques mondiales CMEMS (The Copernicus Marine Environment Monitoring Service) produites par Mercator Océan. En plus d’informer sur les courants de surface, les données satellitaires transmises indiquent la hauteur de la surface de la mer ou SSH (de l’anglais Sea Surface Height). Dans la zone explorée, le niveau SSH oscille entre 3 et 40 cm. Les chercheurs d’Expédition 7e Continent ont pris en compte cet intervalle lors de l’étude.
Ces renseignements ont été complétés par d’autres informations satellitaires : les anomalies de hauteur de mer ou SSA (de l’anglais Sea Level Anomalies). Celles-ci correspondent aux données de plusieurs satellites et sont fournies par le Centre National d’Études Spatiales (CNES) en partenariat avec Collecte Localisation Satellites (CLS). Plus précises, les indications sur le SSA ont été favorisées pour effectuer les corrélations avec les concentrations de microplastiques en surface.
L’analyse des données
Au cours de cette campagne de 17 jours, 41 filets de Neuston, avec une maille standard de 300 µm, ont été remorqués sur une profondeur de 0 à 20 cm. Tous les débris plastiques collectés ont été traités, que ce soit les microplastiques d’une taille inférieure à 5 mm ou les mésoplastiques, de 5 mm à 20 cm. Ces derniers représentent d’ailleurs 10 % des prélèvements effectués.
Comment sont traités ces échantillons ensuite ? La procédure consiste en 6 étapes :
- la collecte, issue d’un remorquage de 30 minutes pendant 1,1 à 2,5 km avec une vitesse de navigation de 1 à 2,5 nœuds ;
- le tri, entre les débris plastiques et les matières naturelles ;
- l’observation des échantillons au microscope ;
- l’identification des morceaux récupérés ;
- la pesée de ces différents produits à 0,01 mg près ;
- le stockage dans des flacons en verre conservés à -18°C.
Au total, l’équipe a réalisé 41 mesures, dont 29 à l’intérieur du gyre subtropical. En raison des variations dues au vent, les mesures de concentration de microplastiques en surface ont été corrigées selon un modèle précis. Cette exploration, en plus de cartographier les zones polluées, a permis d’obtenir la première observation directe des différences d’accumulations de microplastiques entre les tourbillons cycloniques et anticycloniques.
Les résultats de la campagne de juin 2015
La première conclusion d’Expédition 7e Continent est que l’accumulation de microplastiques dans les océans est 6,2 fois plus importante à l’intérieur du gyre qu’à l’extérieur. La seconde porte sur la répartition de ces débris plastiques dans le gyre. D’une part, un rapport a été établi entre les données satellitaires d’anomalies de hauteur de mer (SLA) et la présence accrue de microplastiques dans la zone. En effet, plus celles-ci sont hautes (entre 10 et 18 cm), plus l’amoncellement de débris plastique augmente.
D’autre part, les valeurs dans la formation anticyclonique dépassent largement celles du tourbillon cyclonique. Dans le premier cas, 170 000 morceaux/km2 sont recensés contre 20 000 morceaux/km2 dans la formation cyclonique. La concentration moyenne de microplastiques était donc 9,4 fois plus élevée dans les formations anticycloniques.
Cette étude permet de conclure que la dynamique des océans à mésoéchelle influence la distribution de débris plastique à la surface de l’eau au sein des gyres subtropicaux. Des questions complémentaires subsistent comme la répartition des déchets au moment de la formation des tourbillons ou plus en profondeur. De futures recherches analyseront ces paramètres.
La route est encore longue pour comprendre les effets de la pollution sur l’environnement, et notamment sur l’accumulation de microplastiques dans les océans. Nous continuons à mener des actions pédagogiques et à alerter sur la fragilité des écosystèmes. Pour aller plus loin, consultez le volet scientifique d’Expédition 7e Continent.
Source : Anticyclonic eddies increase accumulation of microplastic in the North Atlantic subtropical gyre.
Article rédigé par Maëva Albaret au cours de la formation en rédaction web seo chez Formation Rédaction Web. La relecture scientifique a été réalisée par Valérie Pruneta, docteur en biochimie.